Éric Lomba, nous nous retrouvons en ce 22 avril Journée Mondiale de la Terre Nourricière, journée qui a pour but de mettre en avant le lien entre l’être humain, les autres espèces du vivant et la planète sur laquelle nous vivons tous. Et si on se retrouve à cette occasion c’est parce que, je crois, cette thématique de “terre nourricière” te parle tout particulièrement, tu as travaillé sur l’alimentation toi-même, peux-tu nous en dire plus ?
Oui effectivement ! L’alimentation durable et la relocalisation de l’alimentation sont des sujets qui me sont chers. Pourquoi ? Peut-être déjà parce que je viens d’une commune rurale, Marchin, mais aussi parce que je suis moi-même petit-fils d’agriculteurs… est-ce que ça joue, surement. J’ai en tout cas toujours été affectivement attaché à une agriculture de proximité et à l’idée d’intelligence agricole dans le sens où l’activité agricole s’intègre tout à la fois dans le paysage et dans nos vies de tous les jours. Les industries agroalimentaires, en revanche, m’ont toujours laissé un goût amer (parce qu’elles ne s’intègrent pas de la même façon dans le territoire).
Et donc je suis convaincu qu’on doit retravailler prioritairement sur nos territoires ruraux pour relocaliser l’agriculture pour réapprendre à vivre avec ce qui nous entoure : avec le paysage, avec la biodiversité et ses capacités de produire ce qu’on doit manger au quotidien.
Et donc le projet d’alimentation durable est assez intéressant dans ce qu’il recouvre, dans sa portée. Il y a le fait économique qu’un ou plusieurs agriculteurs en vivent, il y a la production agricole même qui répond à un besoin de base de chacun qui est de pouvoir s’alimenter, mais c’est encore plus un vecteur de santé publique, un moyen d’éducation et bien d’autres choses.
Justement, tu travailles depuis plusieurs années à une stratégie circuit court sur Huy-Waremme, est-ce que tu peux nous en dire plus ?
Oui, je travaille sur les circuits-courts depuis bientôt 6 ans à travers le pilotage d’un groupe de travail de l’Instance Bassin EFE local sur cette thématique. Très concrètement, le Bassin EFE est un outil du FOREM qui vise à faire coïncider des programmes de formation et de remise à l’emploi avec les besoins et opportunités économiques propres à un territoire. Les partenaires sociaux, syndicats et patronats s’y retrouvent également. C’est dans ce cadre qu’on m’a proposé de piloter un groupe de travail sur le circuit-court. Très rapidement, on a identifié le métier d’agriculteur et le secteur de l’agriculture comme étant vecteurs du circuit-court.
Il devrait y avoir sans doute beaucoup plus que l’agriculture et le maraîchage comme projets de circuit-court, on pourrait travailler ce modèle dans de multiples compétences et dans de multiples productions. Mais effectivement, nous sommes sur un territoire rural et nous avons commencé par l’agriculture, avec une volonté de reconversion agricole de notre territoire.
On ne va pas révolutionner l’ensemble de la production agricole, il y a une industrie agricole sur notre territoire, elle est pourvoyeuse d’emplois et c’est comme ça. Mais on sent qu’il y a en outre une possibilité de recréer pas mal d’emplois dans l’agriculture circuit-court. Et je le disais précédemment, ici on va plus loin que la seule vision économique et création d’emploi, on y prône tout un système, un projet éducatif, réapprendre à bien manger, ce qui induit une amélioration de la santé publique. On voit qu’avec cette ambition circuit-court se dessine un projet multiforme et transversal qui va bien plus loin que “produire des concombres dans la ferme du voisin”. On est sur un projet tout à la fois de reconversion économique et de société, il y a co-bénéfices !
Des réalisations concrètes de toute cette dynamique à nous présenter ?
Je vais prendre l’exemple du GAL. Un GAL (Groupe d’Action Locale) c’est un groupe de communes qui se mettent ensemble pour répondre à des enjeux spécifiquement liés à la ruralité. On va parler mobilité, ressources hydriques et naturelles, patrimoine paysager, chartes urbanistiques… et on va donc logiquement parler beaucoup plus d’agriculture. Ça c’est le travail d’un GAL, qui a à sa disposition du personnel propre (des chargés de mission) financé par l’Europe. C’est comme ça qu’on parvient à faire de la supracommunalité au niveau rural et qu’on arrive à faire toute une série de choses qui seraient impossibles pour une commune seule. On mutualise.
Notre GAL, Pays des Condruses, regroupe 7 communes (bientôt 9) et travaille sur cette reconversion agricole du territoire. De nouveau, on n’a pas la prétention de révolutionner toute l’agriculture mais bien de développer la niche de l’agriculture durable et circuit-court. Bref, on a fait toute une série d’actions qui, mises les unes à côté des autres, font qu’on s’occupe du processus de A à Z. Je m’explique.
On a par exemple ce qu’on appelle Point Vert qui est le premier espace-test de maraîchage en Wallonie. Il permet à des jeunes entrepreneurs d’abord de se former et puis après d’être mis “sous couveuse” en entreprise avec l’aide de CréaJob. Le cycle est complet : 1) la formation, 2) la mise à l’emploi et 3) l’accompagnement à la constitution en entreprise.
On a ainsi aidé à créer, au fil des années, une dizaine “start-up” de l’agriculture et du maraichage. Je pense aussi à Cycle En Terre qui est maintenant une petite entreprise qui fonctionne bien et qui a comme objectif de concurrencer le modèle de Monsanto en proposant des graines durables au secteur agricole. Un rapport plus vertueux à la question des semences.
Pour l’économie du circuit-court, il s’agit souvent de faciliter les débouchés économiques, voire les créer. Et c’est là qu’on travaille à la promotion de cantines scolaires, qui permettent d’écouler cette production plus saine et locale en l’intégrant dans un projet éducatif de redécouverte de l’alimentation. Un enfant qui apprend à bien manger, c’est un adulte qui demain consommera différemment, qui connaitra les légumes, qui fera attention à moins gaspiller, à bien estimer les quantités… l’action pédagogique autour du repas est très complète. C’est en cela que la question de l’alimentation est politique et globale. C’est une question de société.
Dans la même logique, on aide à créer des marchés ou des halles (comme celle de Nandrin) qui permettent d’écouler la production en recréant du lien, dans les villages, dans des quartiers. On structure un territoire avec le circuit-court et on fait respirer un tissu économique local. On doit juste être vigilants à pérenniser les (bonnes) habitudes de consommation alimentaire prises pendant le covid qui tendent à disparaitre avec la reprise d’un rythme de vie intense.
Ce cycle complet, c’est donc ça la logique “de la fourche à la fourchette”…
On a commencé à utiliser cette expression pour revaloriser nos acteurs agricoles à une époque où la méfiance a pu s’installer. Elle a un double sens.
D’abord, c’est l’histoire du gamin qui n’a pas compris d’où provenait le lait plus loin que la brique dans son frigo. La chaine de production agricole est fortement invisibilisée par le principal mode du commerce actuel : la grande surface. De la fourche à la fourchette, c’est reprendre conscience des processus qui précédent l’aliment dans notre assiette, reprendre conscience du rôle de l’agriculture.
Mais c’est ensuite l’expression d’un rapport de proximité avec notre alimentation. Une proximité avec le producteur. On parle souvent d’un besoin de plus de labels bio, avec toujours plus de contrôles qualité de la production. Toute cette complexification est rendue nécessaire par le modèle actuel de délocalisation de la production alimentaire. Si cette production était moins éloignée, on aurait dans l’ensemble plus confiance en la qualité du produit, parce qu’on “verrait” par soi-même les étapes de production depuis la fourche. On a besoin de labels et de contrôles parce que la production est à des dizaines, centaines ou milliers de kilomètres de nous ? Parce qu’on n’a pas cette relation de proximité.
Il y a un an, l’épicerie de la Halle était inaugurée à Huy, quel est le lien avec tout ce dont nous venons de discuter ?
Oui, l’épicerie de la halle, c’est aussi un de ces débouchés qu’on essaye de créer pour les producteurs. L’épicerie qu’on a ouverte à Huy offre une vitrine à une vingtaine de producteurs circuit-court déjà fédérés dans la démarche, en attendant l’ouverture de la Halle à proprement parler qui devrait ouvrir prochainement dans l’ancien Mestdagh sur la rive gauche. L’épicerie est donc la prémisse d’un espace plus grand et plus diversifié.
La Halle vient de recevoir la confirmation d’un subside de plus de 2 millions d’euros de la Région Wallonne qui soutient le projet. Le nouvel espace se voudra une véritable strate intermédiaire entre producteurs et consommateurs. On y fera du stockage, de la fabrication de repas (donc de la transformation), de la formation, un espace de conférence, des espaces HoReCa, du co-working, … bref un espace permettant de concentrer les acteurs de l’alimentation durable dans notre région. C’est aussi pour cette raison qu’on y réunira le Conseil de Politique Alimentaire (CPA) de Huy-Waremme, qu’on est en train de mettre en place avec la conférence des élus pour que on puisse effectivement mettre en réseau l’ensemble des acteurs du circuit alimentaire local.
Il faut bien se rendre compte que ça touche énormément d’acteurs et que ça implique beaucoup de métiers différents aussi. Ça ne se borne pas aux producteurs et aux vendeurs, il y a tous les métiers de la transformation alimentaire qui viennent s’insérer dans le circuit, avec parfois la création d’une valeur ajoutée importante du produit transformé par rapport au produit brut. Mais ce sont aussi les métiers de la vente, du design, du marketing, comme les graphistes qui réalisent des packagings pour des produits. C’est sur l’ensemble de ces métiers qu’on essaye de construire cette plus-value pour notre territoire rural.
Tu as mené beaucoup de ces projets pendant que tu étais bourgmestre et dans le cadre de la supracommunalité, maintenant que tu as la casquette de député, que pourrais-tu avoir envie de porter au niveau supérieur pour faciliter ces projets ? Et à l’inverse, quels freins se sont opposés ?
Alors les freins au niveau du territoire, ils ne sont pas tellement institutionnels, ils sont dans la prise de conscience et surtout le fait que les différents acteurs ne se connaissent pas assez. Les synergies deviennent possibles en rencontrant les autres acteurs locaux. Le gros travail, c’est du réseautage donc, et là je ne pense pas qu’un décret pourrait nous aider davantage. C’est convaincre autour de soi, dans un microcosme, dans un territoire donné, de la nécessité de se mettre autour d’une table et d’avancer ensemble.
Un autre véritable levier, ce sont les réseaux constitués à partir de la supracommunalité, l’association de communes. J’insiste vraiment sur cette idée. Je suis persuadé qu’elle est essentielle pour exploiter pleinement ce que j’appelle l’intelligence territoriale, c’est-à-dire prendre des décisions sur base d’une maîtrise très fine des caractéristiques, atouts et faiblesses des localités. Il faut qu’on arrive à se dire à plusieurs qu’on doit travailler de manière transversale, qu’on arrête de travailler chacun dans sa commune et ça, en revanche, je peux le porter au niveau régional. Je pense qu’on aura beaucoup à tirer de la supracommunalité, et pas seulement pour le développement d’une économie de l’alimentaire.
On parle beaucoup d’écosocialisme depuis quelques années, comme l’adaptation nécessaire de nos combats à l’époque et à ses défis. Qu’est-ce que ça t’évoque et quel est le lien que tu peux faire entre ce concept et ta pratique ?
Moi ce que j’ai envie de dire, c’est qu’on a toujours été écosocialistes, parce qu’on ne peut pas pour moi être socialiste sans être écologiste (et je ne fais ici pas référence au parti Ecolo). Quand on mène des combats sur les circuits courts, quand on mène les combats pour les cantines rebelles, on a bien compris que c’est par rapport à un changement de paradigme de société et qu’on a des questions sociales qui se posent toujours derrière. S’il ne s’agit pas seulement de manger sain, il s’agit de manger accessible, que tout le monde puisse participer à la transition environnementale. Le combat pour le climat et le combat social vont de pair. On voit aussi qu’à l’heure actuelle ce sont les plus pauvres, les plus précarisés, qui subissent le plus les dérèglements climatiques.
Aujourd’hui on ajoute “éco-” devant socialiste parce que ça n’a pas été toujours si évident que le socialisme impliquait ces questions. C’est aussi pour ça qu’un parti écologiste a vu le jour, mais c’est faux de considérer qu’ils aient le monopole sur ce combat.
Ce qui est vrai, c’est que les socialistes se sont construits sur un modèle productiviste. Ça c’est une question qu’on doit assumer à un moment donné dans nos rangs. On a construit notre projet social sur la production, sur des systèmes de production intenses. Et donc là il y a des remises en question sur les modèles à avoir. Mais pour le reste, quand on considère qu’un environnement qualitatif (qualité de l’air, de la végétation, niveau de bruit et de pollution bas) permet de vivre mieux et simplement de vivre, alors on défend le droit de chacun à y accéder. C’est ça que les socialistes font depuis des décennies, défendre l’accès aux mêmes opportunités pour tous.